Douala, 10 octobre, 2025 / 9:09 PM
ANALYSE : Les responsables de l’Église dans ce pays d’Afrique centrale dénoncent la corruption endémique qui mine le niveau de vie national
Note de la rédaction : Il s’agit du premier article d’une série consacrée à l’Afrique.
Pays riche rendu pauvre par des décennies de mauvaise gouvernance, le Cameroun se prépare à une élection présidentielle le 12 octobre, tandis que les responsables de l’Église catholique s’affirment comme des voix prophétiques contre le statu quo.
À 92 ans, le président sortant Paul Biya brigue un nouveau mandat dans ce pays d’Afrique centrale de 30 millions d’habitants, dont l’âge médian est de 19 ans. Catholique, fils d’un catéchiste, M. Biya est arrivé au pouvoir comme Premier ministre en 1975, il y a 50 ans, avant d’être élu président en 1982 — fonction qu’il occupe toujours. Si le pays était bien gouverné, cela ne poserait pas de problème. Mais ce n’est pas le cas.
La conférence épiscopale nationale du Cameroun (CENC) a dénoncé en janvier, dans une lettre signée par les 36 évêques, la corruption endémique et le détournement systématique des fonds publics qui sapent le bien-être de la population.
Pourtant, dans la plus grande ville du pays, Douala, principal port d’Afrique centrale, on découvre une communauté de foi vivante, portée par un leadership prophétique, des paroisses dynamiques et une spiritualité catholique foisonnante.
Dire la vérité
Le développement économique du Cameroun est en stagnation depuis deux décennies, selon les données internationales : quatre Camerounais sur dix vivaient dans l’extrême pauvreté en 2022.
« Jean-Paul II (1985 et 1995) et Benoît XVI (2009) sont venus en visite pastorale parce que notre pays était stable, et, en Afrique centrale, l’Église du Cameroun occupe une place importante avec une foi particulièrement dynamique », a expliqué Mgr Samuel Kleda, archevêque de Douala. Le fait que le président Biya soit catholique jouait aussi un rôle.
Mais le pays n’a pas tenu les promesses que ses ressources naturelles et humaines laissaient espérer.
S’exprimant en français, Mgr Kleda a confié au National Catholic Register :
« Nous utilisons les statistiques du gouvernement — chômage, routes dégradées, manque d’électricité et d’eau potable. Le gouvernement connaît la réalité, les désastres vécus par notre peuple. Mais il refuse de se convertir, par peur de perdre le pouvoir. Voilà le problème. »
En face de Paul Biya, douze candidats sont en lice, mais aucun ne semble avoir la stature nationale nécessaire pour le battre. L’Église, elle, occupe le vide.
Sans soutenir un candidat en particulier, la CENC a publié le portrait d’un président idéal, homme de terrain, désintéressé et engagé pour la justice et le bien commun. En août, Mgr Kleda a aussi rendu publique une lettre pastorale très critique.
« Par nos déclarations, nous avertissons le pouvoir, dans l’espoir qu’il prenne conscience et se convertisse — dans le sens chrétien du terme — pour servir le peuple », a-t-il précisé.
Y a-t-il un risque à défier publiquement le gouvernement ?
« Le jour de mon ordination, j’ai accepté la possibilité du martyre. Je dois donc dire la vérité », répond-il avec gravité. « Comme Jésus face à l’injustice, j’agis aujourd’hui face aux injustices de mon pays. Je le fais parce que je suis disciple du Christ. »
Vie paroissiale
Chaque dimanche, Mgr Kleda visite l’une des 88 paroisses de son archidiocèse. Le 28 septembre, il s’est rendu à Saint-Marc de la Cité des Palmiers, une paroisse où le nombre de fidèles a doublé depuis 2009. Sous sa direction, 46 nouvelles églises et l’Université catholique Saint-Jérôme ont été construites.
Dans son homélie, l’archevêque a médité sur la parabole du riche et de Lazare :
(L'histoire continue ci-dessous)
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« Les riches ferment leur cœur, se ferment eux-mêmes, parce que la richesse les aveugle. Voilà notre réalité aujourd’hui. »
La liturgie fut rythmée par des chants joyeux en français, anglais, langues locales et latin, accompagnés de tambours, xylophones et calebasses.
Après la messe, les fidèles ont défilé en dansant, offrant au prélat riz, huile, ananas, plantains, volailles, chèvres et un cochon, que les servants d’autel rangeaient soigneusement.
Les dons, a expliqué la secrétaire paroissiale, sont redistribués aux séminaristes, personnes âgées et familles pauvres, illustrant une solidarité communautaire exemplaire.
Autre initiative portée par Mgr Kleda : un jardin médicinal où poussent des plantes thérapeutiques parmi autruches, paons et canards.
« Je connais les plantes et leurs effets », explique-t-il. « Les guérisseurs traditionnels jouent un rôle essentiel. Beaucoup de gens préfèrent encore les consulter. »
Pendant la pandémie de COVID-19, l’archevêque s’était fait connaître pour un remède naturel qu’il avait développé contre les symptômes du virus.
Diversité des charismes
Durant une semaine à Douala, j’ai rencontré de nombreux religieux et religieuses, missionnaires et laïcs consacrés engagés dans la pastorale.
La sœur augustinienne Honorine, 36 ans, s’occupe du catéchisme à Saint-Marc. Le visage illuminé d’un large sourire, elle confie :
« Nous accueillons avec joie notre Saint-Père augustinien. Nous espérons qu’il viendra au Cameroun ! »
Dans la cour, des jeunes filles en robes bleues et voiles assortis appartiennent aux Cadettes de Marie.
« Nous prions le Rosaire chaque week-end », explique Patricia, 15 ans. « Nous essayons de marcher sur les traces de Marie. »
À l’autre bout de la ville, les Spiritains (Congrégation du Saint-Esprit), missionnaires venus d’Alsace, entretiennent une chapelle et une maison d’accueil. Ils furent parmi les premiers évangélisateurs du pays.
Christianisme en Afrique
Le Cameroun a connu les colonisations allemande, française et britannique, dont les séquelles se lisent encore dans la crise anglophone.
Mais selon l’abbé Serge Eboa, chancelier de l’archidiocèse de Douala depuis 2022, la foi chrétienne n’est pas un héritage colonial :
« Les Africains étaient déjà des hommes de foi avant l’évangélisation. Les prêtres et évêques ont simplement donné une dimension catholique à une foi préexistante. La religion traditionnelle et l’Église catholique se complètent. Le message du Christ parle au cœur africain. »
Il poursuit :
« Aujourd’hui, les gens recherchent la foi catholique parce qu’elle apporte connaissance et valeurs chrétiennes capables de transformer une société en dérive. À Douala, même en semaine, la cathédrale est pleine. »
« La déchristianisation vient de l’Occident », note-t-il. « Certains intellectuels américains ou européens veulent un retour aux sources traditionnelles, disant que le christianisme les a trompés. C’est une erreur perverse. »
« Jésus-Christ est essentiel dans nos vies. Sans l’Église, le monde court à la damnation éternelle. »
Dans son bureau, un portrait de Saint Josémaria Escriva atteste de la présence de l’Opus Dei, actif à Douala et Yaoundé, avec des centres d’étude et des programmes de formation professionnelle.
Le Père Eboa a connu l’Opus Dei il y a 24 ans à Douala et a étudié à Rome dans son université pontificale :
« L’Opus Dei m’a beaucoup aidé. Sa spiritualité du travail sanctifié m’a rendu meilleur prêtre diocésain. »
Élection ce dimanche
Le président Biya a tenu son premier meeting de campagne le 7 octobre dans le Grand Nord, région à majorité musulmane où vivent 20 % des électeurs.
Deux candidats, également musulmans et anciens ministres, gagnent du terrain depuis leur démission en juin.
« Notre souhait, en tant qu’Église, est que les élections se déroulent sans fraude et dans la transparence. Nous prions pour la paix », a déclaré Mgr Kleda.
« Et nous voulons un avenir meilleur — bien meilleur », a-t-il ajouté.
Cet article a été initialement publié par le National Catholic Register (NCR), partenaire d’ACI Afrique.
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